Démons familiers assez débonnaires ; ils apparaissent sous la figure de petits hommes sans barbe, avec les cheveux épars. Un jour qu’une mandragore osa se montrer à la requête d’un sorcier qu’on tenait en justice, le juge ne craignit pas de lui arracher les bras et de les jeter dans le feu. Ce qui explique ce fait, c’est qu’on appelle aussi mandragores de petites poupées dans lesquelles le diable se loge, et que les sorciers consultent en cas d’embarras. On lit dans le Petit Albert que, voyageant en Flandre et passant par Lille, l’auteur de cet ouvrage fut invité par un de ses amis à l’accompagner chez une vieille femme qui passait pour une grande devineresse, et dont il découvrit la fourberie. Cette vieille conduisit les deux amis dans un cabinet obscur, éclairé seulement d’une lampe, à la lueur de laquelle on voyait, sur une table couverte d’une nappe, une espèce de petite statue ou mandragore, assise sur un trépied, ayant la main gauche étendue et tenant de cette main un cordon de soie très-délié, au bout duquel pendait une petite mouche de fer bien poli. On avait placé en dessous un verre de cristal, de sorte que la mouche se trouvait suspendue au-dessus de ce verre. Le mystère de la vieille consistait à commander à la mandragore de frapper la mouche contre le verre, pour rendre témoignage de ce que l’on voulait savoir. Ainsi disait-elle, en s’adressant à la statue : « Je t’ordonne, mandragore, au nom de celui à qui tu dois obéir, que si monsieur doit être heureux dans le voyage qu’il va faire, tu fasses frapper trois fois la mouche contre le verre. » La mouche frappait aussitôt les trois coups demandés, quoique la vieille ne touchât aucunement ni au verre, ni au cordon de soie, ni à la mouche, ni à la statue ; ce qui surprenait les spectateurs. Et afin de mieux duper les gens par la diversité de ses oracles, la vieille faisait de nouvelles questions à la mandragore et lui défendait de frapper si telle ou telle chose devait ou ne devait pas arriver ; alors la mouche restait immobile. Voici en quoi consistait tout l’artifice de la vieille : la mouche de fer, qui était suspendue dans le verre, étant fort légère et bien aimantée, quand la vieille voulait qu’elle frappât contre le verre, elle mettait à un de ses doigts une bague dans laquelle était enchâssé un gros morceau d’aimant. On sait que la pierre d’aimant a la vertu d’attirer le fer. L’anneau de la vieille mettait en mouvement la mouche aimantée et la faisait frapper autant de fois qu’on voulait contre le verre. Lorsqu’elle désirait que la mouche ne frappât point, elle ôtait la bague de son doigt, sans qu’on s’en aperçût. Ceux qui étaient d’intelligence avec elles avaient soin de s’informer des affaires de ceux qu’ils lui menaient, et c’est ainsi que tant de personnes furent trompées. Les anciens Germains avaient aussi des mandragores qu’ils nommaient Alrunes : c’étaient des figures de bois qu’ils révéraient, comme les Romains leurs dieux Lares. Ces figures prenaient soin des maisons et des personnes qui les habitaient. On les faisait des racines les plus dures, surtout de la mandragore. On les habillait proprement, on les couchait mollement dans de petits coffrets toutes les semaines, on les lavait avec du vin et de l’eau, et à chaque repas, on leur servait à boire et à manger, sans quoi elles auraient jeté des cris comme des enfants qui souffriraient la faim Pt la soif, ce qui eût attiré des malheurs enfin, on les tenait renfermées dans un lieu secret, d’où on ne les retirait que pour les consulter. Dès qu’on avait le bonheur d’avoir chez soi de pareilles figures (hautes de huit à neuf pouces), on se croyait heureux ; on ne craignait plus aucun danger, on en attendait toutes sortes de biens, notamment la santé et la guérison des maladies les plus rebelles. Mais ce qui était encore plus admirable, c’est qu’elles faisaient connaître l’avenir et on les agitait pour cela, et on croyait attraper leurs réponses dans des hochements de tête que le mouvement leur imprimait. On dit que cette superstition des anciens Germains subsiste encore aujourd’hui parmi le peuple de la basse Allemagne, du Danemark et de la Suède. Les anciens attribuaient de grandes vertus à la plante appelée mandragore. Les plus merveilleuses de ces racines étaient celles qui avaient pu être arrosées de l’urine d’un pendu ; mais on ne pouvait l’arracher sans mourir. Pour éviter ce malheur, on creusait la terre tout autour, on y fixait une corde attachée par l’autre extrémité au cou d’un chien ; ensuite, ce chien étant chassé, arrachait la racine en s’enfuyant, il succombait à l’opération, mais l’heureux mortel qui ramassait alors cette racine ne courait plus le moindre danger, et possédait un trésor inestimable contre les maléfices.