Il y avait, chez les fées comme chez les hommes, une inégalité de moyens et de puissance. On voit dans les romans de chevalerie et dans les contes merveilleux; que souvent Une fée bienfaisante était gênée dans ses bonnes intentions par une méchante fée dont le pouvoir était plus étendu. La célèbre fée Urgande qui protégeait si généreusement Aniadis, avait donné au jeune Esplandian, fils de ce héros, une épée enchantée qui devait rompre tous les charmes. Un jour qu’Esplandian et les chevaliers chrétiens se battaient en Galatie, aidés de la fée Urgande, ils aperçurent la fée Mélye, leur ennemie implacable sous là figure la plus hideuse. Elle était assise à la pointe d’un rucher, d’où elle protégeait les armes des Sarrasins. Esplandian courut à elle pour purger, la terre de cette furie (car, bien qu’immortelles de leur nature, jusqu’au jugement dernier ; les fées n’étaient pas à l’épreuve d’un bon coup d’épée, et pouvaient, comme d’autres, recevoir la mort, pourvu qu’elle fût violente). Mélye évita lé coup eu changeant de place avec la plus grande agilité et comme elle se vit pressée, elle patit s’abriter dans un antre qui vomit aussitôt des flammes.
Urgande reconnut Mélye au portrait que les chevaliers lui en firent. Elle voulut la voir elle conduisit donc Esplandian et quelques chevaliers dans une prairie, au bout de laquelle ils trouvèrent Mélye assise sur ses talons et absorbée dans une profonde rêverie. Cette fée possédait un livre magique qu’Urgande désirait depuis longtemps la possession. Mélye, apercevant Urgande, composa son visage, accueillit la fée, sa rivale, avec gravité, et la fit entrer dans sa grotte. Mais à peine y avait-elle pénétré que, s’élançant sur elle, la méchante fée la renversa par terre, en lui serrant la gorge avec violence. Les chevaliers, les entendant se débattre, entrèrent dans la grotte mais le pouvoir des enchantements les fit tomber sans connaissance.
Le seul Esplandian, que son épée charmée protégeait de tous les pièges magiques, courut sur Mélye et relia Urgande de ses mains. Au même instant Mélye prit de ses livres celui qui portait le nom de Médée, et forma une conjuration. Le ciel s’obscurcit aussitôt : il sortit d’un nuage noir un chariot attelé de deux dragons qui vomissaient dès flammes. Enlevant lestement Urgande, Mélye la plaça dans le chariot et disparut avec elle. Elle l’emmena dans Thésyphante et l’enferma dans une grosse tour d’où Esplandian parvint à la tirer quelque temps après.